Les frères CUFFY Robert et Georges
Amis, frangins, camarades, compagnons…. Chère Annie, cher Vincent,
Le téléphone a sonné…ce n’était pas pour préparer l’an nouveau avec un réveillon à la clé…mais un appel de détresse d’Annie. Jean n’avait pas vu le matin d’hiver. Il nous faut désormais le partager entre tous ceux qui l’aiment et, ceux qui, je n’en doute pas viendront à son œuvre. Des monceaux de mots et des notes en héritage, frétillants de vie. Je ne vais pas en rajouter. Jean qui a tant creusé la vie a accueilli sa fin. Tranquillement, il l’a préméditée. Il a mis de l’ordre dans ses affaires chansons. Il a fait sa malle avec un livre « la concordance des chants », un dernier CD « Saluts », passé une belle journée au jardin. Il s’est couché. Fini. Son œuvre bien rangée, « récatée », attendait cet instant pour prendre un nouvel envol, comme notre amitié pour donner toute sa mesure. Les réseaux ont abandonné la langue du bois dormant, les journaux, presque, et j’ai découvert avec Jacques Bertin combien Jean était un « inconnu célèbre ». Pendant cette semaine un grand remuement s’est produit avec un impossible inventaire. Chacun sait ici son parcours. Sans la débâcle de 40, il serait né à Charleville à l’ombre, d’un arrière-grand-père député maire engagé, de bonne gauche, et d’un certain Arthur. Le garçon du pays des sangliers étudiera au lycée Buffon, à Paris avec Garaudy comme prof, ce compagnon des existentialistes et des croyants…aux «au-delà qui chantent ». Il s’est détourné d’une licence de lettres pour une envie de création politisée et poétisée en réalisant un film empruntant à Paul. Eluard son titre « De l’horizon d’un seul à l’horizon de tous ». Il est déjà entiché de Léo Ferré, qui restera son maître. S’enchainent des rencontres nombreuses avec des piliers de cabarets, la Colombe, l’Ecole Buissonnière… Jean était une mémoire vivante de la chanson et de la poésie sur plus d’un demi-siècle que les radios ont loupé (à part « Grille Ouverte »). Luc Berrimont, animateur de radio et poète bon vivant et Michel Lancelot font la promotion de notre passionné de poésie et aussi de fraternité artistique. Jean milite pour la chanson « à texte », pour une reconnaissance des artistes chanteurs au syndicat avec Claude Vinci. Toujours « L’horizon de tous »… Je l’avais entendu à Tharaux son « atelier d’été » parmi les cinq qu’il invitait Bertin, Elbaz, Brua, Juvin,… En 1980, il vient à Alès avec Jean-Claude et Josette Garcia soutenir la grève des mineurs de Ladrech… Je découvre l’homme observateur, laconique, solide et cohérent. Il m’autorise, un peu éberlué à adresser son poème « Village » aux familles de mon canton et me propose de transporter son petit festival de Tharaux à Barjac en 1992.
VILLAGE
J’ai fait village de moi-même Entre la pierre et le soleil Je me peuple de mots qui dansent Dans le thym bleuté du matin Village en nous comme un défi
Village d’être parmi vous Amis de la même brûlure Amis de la même blessure La nuit se fleurit de hiboux Village comme un poing fermé Sur le cœur du monde qui bat Une cigale au fond de moi Métallise l’éternité
Village de vivre et de dire La vérité nue des saisons A la source du chant profond Un amandier rêve et respire Village comme une vigie A la proue vivante du temps Ficelé de vigne et de vent
A la faveur « d’un abus de pouvoir », donc une nouvelle scène, devenue d’importance s’ouvre à Barjac. D’entrée il me présente Jean Ferrat, Leprest, Joyet, Lafaille, Bertin, Ogeret, Solleville, Haillant, Ruiz. L’homme qui était passé à l’Olympia, une première pour un chanteur « rive gauche », qui avait reçu le grand prix du disque, le prix Charles Cros, ne gardait rien pour lui et se vouait aux autres, par son fichier, son réseau d’amis. Il allumait un feu chaud et éclairant dans ces temps du givre de la chanson. Jean était attentif au monde et participait avec ses mots armés à la mêlée.
Cuisinier des mots et des mets il a toujours eu une haute exigence et le culte de l’amitié. Je pense à sa tendresse lorsque m’étant brisé la jambe, il est venu me chercher avec mille précautions pour une journée de fête chez lui… Je pense aussi au tour de chant qu’il a offert à mes amis, à la maison pour mon anniversaire.
« Garé dans le Gard », à Rivières il ne cesse d’écrire, de composer et de somptueux CD voient le jour pour notre bonheur. Un travail obstiné, convaincu qu’il est de son art, indifférent ou presque, à l’accueil, pressé, haut sans être hors… Jean lisait beaucoup, le meilleur de la radio, des films, des petits plats et des gros cigares.
Un être vivant, incrusté en nous à jamais.
Tout compte fait, il s’exprime en 92 sur sa vie :
Edouard CHAULET 28 décembre 2016 |